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RENDEZ-VOUS DE LA MONDIALISATION
L’avenir de la zone euro dans la
mondialisation
Jean-Pierre Clève a participé il y a quelques
jours à un colloque du Centre d'Analyse Stratégique, portant sur l'avenir de la zone euro dans la mondialisation.
Vous trouverez ci-joint un relevé de ses notes prises lors des interventions de Jacques Delors et de Sylvie Goulard.
30 juin 2011
Extraits des interventions
de :
Jacques Delors et de Sylvie Goulard
Dix ans après sa création, l'euro a connu sa première crise majeure. Au-delà des turbulences
financières internationales, cette crise révèle une fragilité directement reliée à cette construction originale, qu’est une union monétaire sans union politique. Si le diagnostic est aujourd'hui
largement partagé - une discipline budgétaire insuffisante, une surveillance macro-économique incomplète, une supervision bancaire trop décentralisée- les avis divergent sur les manières d'y
remédier. Faut-il renforcer les règles et les sanctions ? Faut-il accomplir quelques pas supplémentaires dans la direction du fédéralisme ? Comment traiter le problème irrésolu du partage du
fardeau des crises entre pays ainsi qu'entre secteur public et secteur privé ?
Les gouvernements apparaissent parfois en retard sur le marché et en décalage par rapport à
l'institution fédérale et indépendante, qu’est la banque centrale européenne. Pourtant, ils n'ont pas ménagé leurs efforts, du plan d'aide à la Grèce, au futur mécanisme de stabilité financière,
en passant par le Fonds Européen de stabilisation financière.
Dans ce contexte de divergences persistantes des économies nationales, l'économie allemande
a aujourd'hui retrouvé son niveau d'avant la crise et peut vouloir s'imposer contre le modèle le plus efficace, tandis que le rythme de la croissance française paraît s'accélérer mais reste en
retrait. Que vaut, dans ces conditions, une relation franco-allemande jouant un rôle d'entraînement de la zone ?
L' « Eurosystème » est indépendant de tous les pouvoirs. Qui peut-être en
2011, le garant de la confiance hiérarchique ? La crise n'a-t-elle pas de facto, brouillé la frontière entre pouvoir monétaire et pouvoir politique ? Le Parlement Européen, acteur renforcé par le
traité de Lisbonne, entend faire pleinement entendre sa voix et peser sur le devenir de l'euro. Quel est le meilleur levier pour renforcer la légitimité démocratique de la zone euro par là-même
la confiance des citoyens européens dans leur monnaie unique.
Deux témoignages différents et complémentaires, d’un côté Jacques Delors, personnage historique
et emblématique, témoigne avec sagesse de la force des actions passées, de l’autre Sylvie Goulard apporte une contribution dynamique, plus actuelle et aussi volontariste, appelant à dépasser les
clivages nationaux.
Jacques Delors conseille de relire le traité de la CECA, document modèle de la construction
européenne. Il précise que l'esprit fondateur a toujours prévalu, il cite le SME, l'acte unique européen, la construction de l'euro et les progrès d’interventions du Parlement européen.
Quand on entend les politiques d’aujourd'hui : « avoir peur d'agir contre leur
opinion publique dans les décisions touchant l'Europe, rappelons que les fondateurs ont souvent agi à contre-courant de leur opinion publique, pour le bien de tous ».
L'ère du temps a changé, l'élargissement n'est pas en cause, les modalités sans doute et le
manque de modestie de quelques nouveaux arrivants. La peur du global a fait demander plus à l'État Nation, et l'individualisme contemporain pousse à se recroqueviller.
La question institutionnelle se pose car la méthode communautaire est en recul, en particulier
la dynamique de la majorité qualifiée. La différenciation a permis des accords comme l’Espace de Schengen et l'euro. Pourquoi les pays qui ne veulent pas d’un projet devraient empêcher les autres
d’innover ? La commission a un droit d'initiative qu’elle doit mettre en œuvre.
Au G20, l'Europe est représentée par sept personnes différentes, quelle crédibilité vis-à-vis
des autres grandes puissances ?
Le chaînon manquant des institutions est la coopération, il y a un scepticisme des Anglo-Saxons, qui disent que le système ne peut dépendre de la seule coopération, et qu'il faudrait des institutions, or l'esprit de coopération
a dans le passé fait ses preuves.
Quand certains, aujourd’hui, conteste l’euro, regardons ce qu’il a apporté, depuis sa création,
de 1999 à 2010 :
- la zone euro a obtenu une croissance
économique moyenne de 2,1 %,
- l’inflation a été maîtrisée,
- 16 millions d'emplois ont été créés,
- un tiers des investissements réalisés, en
interne dans la zone euro,
- un tiers des échanges économiques réalisés, en
interne dans la zone euro
- l’euro représente 26 % des réserves monétaires
mondiales. Si un pays quitte l'euro, il perd aussitôt 20 % de son pouvoir d'achat et voit sa dette multipliée par deux ou trois.
Mais l'euro ne nous protège pas des bêtises de certains pays.
Il aurait fallu en complément, un pacte de coopération économique. Il y a une irresponsabilité
du Conseil Européen, il faut faire jouer la coopération et la mutualisation.
La proposition de l'économiste Jacques Delpla sur la mutualisation de la dette est une
excellente idée. Il s’agit de créer 2 catégories de dette : des bleues et des rouges, 60 % de la dette des pays, en bleu, de la bonne dette correspondant à la norme européenne admise, et le
reste en rouge dépendant de chaque Etat. La responsabilité européenne conjointe des dettes bleues entrainera pour tous, une baisse des taux et une crédibilité internationale, y compris pour
l’Allemagne, et l’arrêt de la spéculation. Cela créera un marché collectif de la dette. Par contre, chaque Etat restera responsable à des taux différenciés par pays, de sa dette rouge, pour
laquelle il devra faire à des échéances qui lui incomberont personnellement.
La rigueur est nécessaire, mais est-ce possible
d’engager une rigueur sans retour de la croissance. Il faut préconiser des emprunts par des eurobonds.
Après les pompiers, que vienne à nouveau, le temps des architectes.
On a refusé la coopération, du coup, on a l'ingérence économique.
Le contexte européen actuel a introduit un principe de codécision avec le Parlement Européen,
d’où le témoignage de Sylvie Goulard, parlementaire européenne, membre du bureau national du MODEM.
La crise financière n'est pas seule en cause, précise-t-elle, ne faisons pas porter à l'euro,
le poids de nos insuffisances en politique économique. En France, nous n’avons jamais réglé le problème de nos déficits publics. « Les Français aiment les règles rigides et les pratiques
molles » (Tocqueville) rappelle-t-elle.
Dans les choix que les Européens ont faits, ils ont pensé que les acteurs futurs auraient de la
vertu ! Français et allemands ont refusé de déléguer des pouvoirs au niveau européen, s’opposant même au principe de statistiques communes pour avoir au minimum, un outil de mesure
crédible !
A l'été 2007, vrai début de la crise, la réaction
de la BCE a été exemplaire.
A l’échelle européenne, la cour constitutionnelle allemande n'est qu'une cour
« locale », elle ne peut imposer ses règles à l’Europe entière.
L'Europe est une vraie communauté de droit. Il faut un renforcement de la discipline
communautaire à l’exemple des tempéraments venant du nord de l'Europe. La commission a un droit d'initiative qu’il est nécessaire de valoriser, la
discipline doit être renforcée et le pacte de stabilité respecté.
Il est indispensable d’utiliser les outils macro-économiques de collaboration pour gérer les
dettes publiques et le maintien de l’emploi, et de faire converger les cadres nationaux. La règle récente du « semestre européen » permet
de se parler avant l’élaboration des budgets de chaque pays et donc de se rapprocher.
Sylvie Goulard soutient également la proposition de Jacques Delpla et de son collègue
allemand.
Elle critique le leadership du couple franco-allemand qui impose ses préconisations aux autres
pays, et en particulier aux petits pays, avec une concertation insuffisante.
Enfin, il faut parler de l’Europe aux autres pays du monde, les rassurer, être audible,
expliquer la « machine européenne ».
Il y a un problème avec les agences de notation américaines, pourquoi ne pas créer une agence
d'évaluation européenne indépendante, qui distinguerait « la qualité de la dette », en séparant les dettes qui permettent de produire des
revenus et d'assurer une croissance future.
Il est sûr que les marchés financiers apprécieraient les eurobonds.
notes mises en forme par Jean-Pierre Clève
Juillet 2011
Pour compléter ces notes, voici, un article de Sylvie Goulard (eurodéputée MoDem) parue dans les Echos qui explique justement ce que sont les euro-obligations, et enfin pour conclure
les mots du Président du Mouvement Démocrate sur ce sujet : "les règles et les structures d'une
défense systémique de la monnaie européenne (mutualisation de la dette, structure commune de gestion et autorité politique) n'ont pas été mises en place et donc les même causes risquent à court
terme de produire les mêmes effets".